Jeudi 30 septembre 2021 : Barafu Camp (4600m) > Uhuru Peak (5895m) > Mweka Camp (3100m) – 7km de montée / 23km de descente
Comme prévu, nous n’avons pas dormi… A 21h nous avons fait une petite sortie « technique », et avons été littéralement soufflés par le vent ! Et à 23h, lorsque j’entends le ziiiiip de la tente, je réalise que c’est parti ! Ce moment aussi attendu que redouté, lu à de multiples reprises sur quelques blogs, nous allons enfin le vivre ! Bon, ce fabuleux moment démarre par l’empilement des couches de vêtements, dans une tente dans laquelle la température est négative : il y a quelques cristaux de glaces… Ce sera donc t-shirt thermique, t-shirt en laine merinos, polaire, doudoune et veste hard shell pour le haut du corps, pantalon thermique, pantalon de rando et combinaison de ski pour la partie basse et 2 paires de chaussettes en laine pour compléter le tout. Nous sommes déguisés en cosmonautes !
A 23h30 c’est l’heure de sortir pour le thé chaud (indispensable !) et avaler quelques biscuits secs. A cette heure-là nous n’avons pas faim mais savons que nous devons nous forcer. Top, j’arrive à capter un peu de réseau et charger les messages d’Aurélie, Alban et Clémence, le genre de vitamines qui donnent la pêche ! Moins de 30 minutes plus tard, l’ascension peut enfin démarrer dans une froid glacial…
Malgré le froid le rythme est plutôt bon. Rapidement nous rattrapons le seul groupe parti avant nous. Il doit y avoir une douzaines de touristes et quelques guides qui marchent à un pas extrêmement lent. Malheureusement, dans le noir il est impossible de les doubler, le terrain est trop accidenté mais nous le connaissons puisque nous sommes déjà passés par là hier. Le pas du groupe est vraiment trop lent, je m’agace car cela nous ralentit et nous donne chaud avec les 5 couches ! Après 20 minutes de piétinement nous pouvons enfin les dépasser grâce à la demande de Moussa et nous reprenons notre rythme de croisière. Kosovo Camp est atteint sans difficulté, et nous poursuivons sans même nous y arrêter. Le chemin est désormais un sentier de sable et petits cailloux et la pente commence sérieusement à se durcir. Un magnifique croissant de lune orangé sort de nulle part, le ciel étoilé est de toute beauté, c’est sublime (pour les photos il faudra revenir car pas le temps !).
Dans le noir complet, nous n’avons aucune notion de temps ni d’espace. Sommes-nous trop lents ? En avance sur le timing ? Aucune idée ! Lorsque nous jetons un oeil derrière nous, nous pouvons apercevoir toutes les lumières des frontales. Devant nous rien, nous sommes en tête de cette longue cordée. Ce n’est pas une course mais ça booste sacrément. A la 1ère pause nous entamons les fruits secs (ok, j’avoue, je tape déjà un peu dedans depuis Kosovo Camp !) pour avoir un peu d’énergie et Moussa nous informe qu’il est seulement 1h20 ! Il estime à environ trois heures le temps qu’il reste pour atteindre Stella Point, à une petite heure du sommet. Cela nous semble une éternité tellement nous avions l’impression de marcher depuis plusieurs heures.
Les pauses sont courtes car le froid commence à bien se faire sentir. L’eau des gourdes est de plus en plus froide et se charge de bien nous rafraîchir également ! Nous reprenons notre chemin et sommes rattrapés par une brésilienne solo déjà croisée deux fois les jours précédents. Elle grimpe bien et semble en pleine forme. Lors de la seconde pause, la frontale de Xavier lâche. Ben lui vient en aide et lui fournit une pile de rechange en un temps record. Une fois de plus, leur expérience est précieuse. Dès qu’un arrêt dure plus de 5 minutes le froid nous gagne et nous glace littéralement, surtout les pieds et le dos, humidifié par le sac à dos.
C’est à partir de cette deuxième pause que le plus difficile commence. A environ 5300m (estimation purement personnelle !), l’oxygène se fait plus rare, la fatigue est bien présente, c’est dur. Le pas ralentit nettement. Je reste bien calé derrière Xavier et tente de m’accrocher. Le fait d’avoir dépassé les 5100m déjà atteints en Équateur (avec Xavier !) aide à ne pas lâcher. Les pause se multiplient et il devient impossible de continuer à les compter. Stella Point n’est toujours pas en vue, il faut tenir et, forcément ça cogite un peu dans la petite tête. Mes jambes ont de plus en plus de mal à faire leur boulot, l’idée d’arrêter m’effleure, mais pas longtemps.
Désormais, lors des pauses, c’est Moussa qui nous aide à nous alimenter en prenant directement les fruits secs dans ma poche pour nous les glisser directement dans la bouche. Cela peut paraître idiot, mais ces quelques économies d’énergie sont précieuses et nous permettent de poursuivre et de nous accrocher. Ben nous encourage également, nous n’avons pas le droit de renoncer. Physiquement nous sommes bien et surtout pas de maux de tête pour nous alors que nous continuons à prendre de l’altitude !
Les messages reçus avant de partir du camp tournent en boucle dans ma tête. Les mots gentils reçus avant de partir permettent aux jambes de continuer à avancer. J’avais lu que cette dernière montée devait se faire au mental, nous sommes en plein dedans…
A partir de la moitié de l’ascension nous ne pouvons plus nous hydrater : l’eau de nos gourdes est définitivement gelée… Ah c’est malin, j’avais un petit thermos qui est resté dans la tente. Tant pis, il va falloir puiser dans les ressources…
Moussa nous annonce que nous sommes dans la dernière partie pour atteindre Stella Point. Lors du briefing de la veille il nous a prévenu qu’il s’agissait d’une grosse demi-heure pénible et difficile… et bien je peux confirmer ! ça glisse, ça monte et il y a la fatigue et toujours ce manque d’oxygène qui se fait de plus en plus fort.
Mais ça y’est, nous atteignons Stella Point et nous pouvons nous y poser un peu : inutile de repartir trop tôt, nous risquons d’être au sommet avant le soleil ! Grâce au thermos porté par Ben (lui ne l’a pas laissé dans la tente !) nous pouvons profiter d’un thé bien chaud pour nous réchauffer un peu. Il ne fait pas si froid (probablement entre -5 ou -8 degrés) et nous sommes bien couverts, mais avec la fatigue ce n’est pas simple à gérer. Nous reprenons rapidement notre route, accompagnés d’un groupe d’italiens et de la brésilienne.
Intérieurement nous le savons : nous allons y arriver, il ne reste « que » 45 minutes, peut être une heure. Il paraît qu’à partir de ce point là il n’y a pas de difficulté… Alors en effet, ce n’est pas dur, mais ça monte quand même ! Petits pas par petits pas, tout doucement nous progressons. Chaque rocher croisé et mesurant plus d’1m20 est une bonne excuse pour marquer une micro pause de récupération. Et quand il n’y a pas de rochers c’est tous les 10 mètres que je dois marquer le pas pour reprendre mon souffle.
ça y’est le fameux panneau indiquant le sommet est en vue ! Le ciel commence tout doucement à s’éclaircir et nous terminons cette randonnée de dingue (enfin la montée, il va falloir redescendre ensuite !) par un panorama époustouflant ! A droite et à gauche de la neige et de la glace. Il n’en reste plus beaucoup par rapport aux années précédentes mais ça reste superbe.
Au cours de ces derniers mètres je pense fort à Aurélie et aux enfants qui doivent encore dormir profondément, à mes parents, aussi, qui m’ont transmis ce plaisir de la montagne (d’ailleurs ils ne doivent même pas être au courant que je suis là ?), à Arno qui aurait été top dans notre super Team et aux copains qui étaient réunis le week-end dernier pour l’anniversaire d’Aurélie..
A 6h10, après un peu plus de 6 heures d’ascension, c’est gagné et c’est l’heure du câlin général ! Ces quelques secondes où nous nous prenons tous dans les bras sont indescriptibles. Évidemment c’est le moment de verser la petite larme, ça c’est pour le côté chochotte ! (mais je ne suis pas le seul ! :)) Pendant quelques minutes nous prenons la pose devant ce panneau, point le plus élevé du continent africain !
C’est également l’occasion de faire passer à petit message à ceux qui sont restés en France et qui ont été au quotidien dans ma petite tête pour m’aider à monter :
Le vent est léger mais dès que les mains sont découvertes elles se glacifient. Les photos se prennent par série de 2 ou 3 car ensuite il faut se protéger. Nous n’oublions pas les alentours dont nous ne nous lassons pas.
Nous le savions : au sommet le temps de présence est limité mais nous avons envie de rester tellement nous nous y sentons bien, toujours sans maux de tête, quelle chance ! Au bout d’une quinzaine de minutes c’est déjà l’heure de redescendre, sourire aux lèvres ! Forcément, nous croisons beaucoup de randonneurs qui n’ont pas encore terminé et espèrent encore atteindre le sommet. Beaucoup nous félicitent et nous les encourageons à aller au bout. Certains sont proches, d’autres vraiment loin, à plus de 2 ou 3 heures de montée.
De notre côté la descente est rapide : elle se fait tout droit et en courant ! Nous sommes sur de la roche volcanique et nous nous enfonçons à chaque pas, limitant le risque de chute. Si cela est plus facile ça n’en reste pas moins physique, et encore plus avec la fatigue et le ventre (presque) vide ! C’est l’occasion de découvrir le paysage que nous n’avons pas vu à la montée, du désert à perte de vue ! Au bout de quelques minutes nous atteignons déjà Stella Point, le panneau était invisible à la montée…
Aux 3/4 de la descente Moussa insiste pour me prendre le sac, et, malgré mon refus, il ne me laisse pas le choix. C’est clair que je suis bien fatigué mais je pense être en mesure de faire les 30 dernières minutes.
Après 1h50 de descente très rapide, l’arrivée sur le camp est inoubliable : la Team vient à notre rencontre pour nous féliciter chaleureusement. Les « good job » et « congratulation » fusent et, un par un, chaque membre de l’équipe vient nous faire un check. Pour se remettre de cet effort intense, un jus de fruit frais nous est servi, en attendant le brunch prévu après 2 heures de repos.
Pendant ce petit break bien mérité (impossible de dormir en raison de l’excitation qui redescend) Xavier émet le souhait d’une soupe à la tomate : depuis 5 jours nous avons des soupes délicieuses et différentes chaque jour mais nous n’avons pas encore eu ce goût ! De mon côté je rêve d’une bonne pizza… et quelques minutes plus tard :
C’est fou ! Nous n’avons rien dit et le déjeuner se compose d’une soupe à la tomate, d’un plat de pâtes accompagné de petits légumes et d’une part de pizza « maison » ! Je rappelle que nous sommes à 4600m d’altitude et que cela fait 6 jours que nous sommes partis ! Bon, on ne va pas se mentir, si la soupe était délicieuse, la pizza n’était pas inoubliable, mais cela reste une belle surprise !
Après avoir repris des forces c’est l’heure de repartir et de quitter ce camp qui nous a accueillis pendant près de 24 heures très aérées. Le chemin se poursuivit à perte de vue et nous allons plonger directement dans les nuages (après avoir eu la tête dans les étoiles ce matin, c’est le grand écart !).
Cette descente est l’occasion de découvrir les moyens d’évacuation en cas de problème de santé… Une civière et un chariot… ici pas d’hélicoptère pour venir nous chercher en cas de défaillance ou de pépin physique…
Petit à petit nous retrouvons un peu de végétation et de verdure, quelques sommets disparaissent dans les nuages et le sentier est de plus en plus accidenté.
La dernière partie de cette descente se déroule en forêt, le sol reste très sec.
Après 4 heures et 23 kilomètres d’efforts nous arrivons à Mweka Camp pour notre dernier dodo sous la tente. Nous sommes très fatigués mais tellement heureux de cette journée. Nous ne sommes « qu’à » 3100m et il fait presque chaud comparé aux soirées précédentes. C’est l’occasion de faire une petite toilette bien plus poussée car aujourd’hui nous avons mangé une tonne de poussière !
La soirée se passe très bien à une vitesse folle car nous sommes arrivés tard et avons l’intention de nous coucher tôt pour récupérer de cette longue journée : nous sommes réveillées depuis hier 6h30 du matin, soit plus de 36 heures ! Comme lors de chaque repas Moussa vient nous informer du programme de la veille. ça sent la fin…
Vivement demain ! 🙂